Tribune Libre

Publié le par Hugues Serraf

Pourquoi je voterai Ségolène le 16 novembre

La campagne pour l’investiture socialiste se termine comme elle avait commencé: Ségolène en tête, DSK et Fabius en lutte pour la seconde place d’une éventuelle finale. Elle aura néanmoins permis à la belle du Poitou d’apporter la preuve de la pertinence de sa démarche.

Je ne voudrais pas donner le sentiment de m’identifier trop fortement à la candidate que j’ai décidé de soutenir, mais j’ai l’impression, tout comme elle, d’avoir eu du mal à faire passer mon message auprès des gardiens du bon goût ces dernières semaines... Tout au long de la campagne, en effet, Ségolène Royal a été accusée, simultanément, de ne rien dire et d’en dire trop. Et les mêmes esprits chagrins se sont ingéniés à lui reprocher son manque de substance le lundi pour mieux l’attaquer sur ses dérives iconoclastes le mardi. De mon côté, je crois être revenu sur mon blog, à de nombreuses reprises, sur les raisons de ce soutien, sans effet visible sur ces commentateurs me sommant de m’expliquer « concrètement ».

Je vais donc tenter de les satisfaire une fois encore, à quelques jours du vote d’investiture, tout en mesurant l’inutilité de la démarche en termes prosélytes : les anti-Ségo le resteront jusqu’au bout, quand ses supporters me semblent très susceptibles de se reporter sans arrière-pensée sur un autre candidat en cas d’échec. Et de toute façon, l’évolution récente de l’audience de mon blog (plus d’un millier de visiteurs quotidiens en dépit d’un rythme de publication généralement hebdomadaire) suggère que les commentaires ne reflètent pas nécessairement le point de vue de la majorité des lecteurs. Les membres du PS ne représentant, en outre, qu’une minorité parmi les gens qui fréquentent ces pages, mes prises de position ont peu de chance d’avoir un impact sur l’issue de ce scrutin interne (mais sait-on jamais...).

J’appartiens à ce milieu que les as du marketing rangent chez les « CSP+ » et les publicitaires chez les « bobos ». Mon activité professionnelle me permet de jouir de revenus supérieurs à la moyenne, j’ai vécu à l’étranger, je lis la presse française et internationale, je m’intéresse à l’économie et à la littérature, je suis propriétaire d’un appartement dans le centre de Paris et je circule à vélo... Bref, tout le portrait d’un électeur naturel de DSK (d’aucuns persifleraient qu’il s’agit plutôt de celui d’un électeur de droite, mais j’ai tout de même précisé que je lisais des livres pour brouiller les pistes). Tout le portrait d’un électeur de DSK, donc ? Absolument. Et il n’y a pas si longtemps, c’est effectivement le député de Sarcelles que j’espérais voir entrer à l’Elysée, le boulot naguère accompli à Bercy, comme la vision développée dans son livre-manifeste de 2002, correspondant aux attentes du gauchiste réformé que je suis. Enfin, un gauchiste réformé ayant patiemment élaboré une version suffisamment syncrétique de la social-démocratie pour y intégrer, sans difficulté de cohabitation, Aron, Tocqueville, le New-Labour et les différentes incarnations chrono-spatiales du modèle scandinave. Et sur mon diagnostic de l’économie française : lisez Julliard, Baverez, Marseille, Fauroux & Spitz, Le Boucher, Blanc..., soit la cohorte de ceux qui, hâtivement qualifiés de « déclinistes », passent leur temps à clamer que la France est formidable et qu’il lui suffirait de s’en souvenir pour reprendre le cours de son histoire. Le DSKiste de base, quoi...

Mais voilà, j’ai changé d’avis. J’ai changé d’avis à force d’entendre DSK se molletiser en faisant le pari, comme tant d’autres au PS, que seul un retour aux valeurs de la « gauche éternelle », celle du programme commun et de la dénonciation du terrible capitalisme anglo-saxon, pourrait lui permettre d’arriver au pouvoir. J’ai changé d’avis à force de l’entendre se renier, jour après jour, refusant d’assumer jusqu’à l’héritage des années Jospin. Bon, j’avais bien compris, comme tout le monde, qu’il ne s’agissait que d’un positionnement marketing, d’une posture, d’une « tactique », l’idée étant, à la Fabius, de ratisser large avant d’affiner. J’avais bien compris mais cette tactique-là ne me disait plus rien.

Bien entendu, j’aurais pu attendre un peu et, même, réviser mes positions au moment du coming out social-démocrate de l’ami Dominique. J’aurais pu m’intéresser à son voyage aux Etats-Unis, à ses réflexions sur l’autonomie des universités, aux distances prises par rapport à la question de la renationalisation d’EDF... J’aurais pu, c’est vrai, mais il était déjà trop tard, le phénomène Ségolène m’ayant entretemps conduit à reconsidérer totalement l’idée que je me faisais d’un président. Enfin, d’un président pour 2007. Pas pour 1970 ou 2040.

On s’en doute, la belle du Poitou, si elle s’avisait de lire mon blog, s’empresserait de publier un communiqué pour s’en distancer, mon blairisme à moi étant légèrement plus appuyé que sa timide référence aux succès de magic-Tony en matière de chômage des jeunes. Fort heureusement, je n’ai pas de compte à lui rendre (et réciproquement). Mais quels sont donc, dans ces conditions, les ressorts qui sous-tendent mon soutien à sa candidature ? Ok. Commençons par la dimension « la plus évidente  », comme on dit désormais : Ségolène Royal est une femme. Et contrairement à pas mal de gens, j’incline à penser qu’il s’agit d’un facteur majeur, porteur de différences fondamentales dans l’approche du pouvoir et de la chose politique. Je ne fais pas, pour autant, de la « Femme » avec un grand F une sorte d’être surnaturel et éthéré, dégagé des ambitions animales et primaires qui nous animeraient, nous les hommes. Certainement pas. Et les rumeurs sur certaines de ses dérives autocratiques comme présidente de région achèveraient d’éliminer toute illusion de ce type. Mais je suis convaincu que traverser la vie au féminin suppose une expérience si radicalement autre, si décalée de celle que nos quinquas en pantalons ont pu connaître, que l’envie d’offrir le top job à une représentante du « sexe faible » est devenue terriblement attractive. La fonction présidentielle, même lorsqu’un Mitterrand assure ne «  vouloir le pouvoir que pour nous le rendre  », est en France l’héritière directe de son équivalent sous l’Ancien Régime. Et la dérive monarchique que n’évitera évidemment pas un successeur de Chirac façonné par une ambition de trente ans me semble moins probable chez quelqu’un dont le projet est récent.

Je ne mettrai pourtant pas mon bulletin dans l’urne dans le seul but d’assister l’ascension d’une présidentiable « accidentelle », sorte de mère de famille héroïquement sortie du rang. Non, je le mettrai dans l’urne en considérant que Ségolène Royal représente, pour toutes ses maladresses, la première chance véritable de briser le dogme et de troquer le lyrisme qui sied si bien au PS pour une bonne cure de pragmatisme. Qu’il s’agisse de délinquance, de scolarité, de temps de travail, d’innovations démocratiques et, même, plus récemment, de politique internationale ou d’affaires européennes, elle seule semble être capable de reprendre les problèmes à la base plutôt qu’en fonction de ce que ses compétiteurs croient devoir rabâcher pour séduire leur micro-segment de l’opinion socialiste.

DSK évoque-t-il, un sanglot dans la voix, une « Europe embrassant la Méditerranée jusqu’au cap de Bonne espérance » ? Fabius décrit-il les contours d’une « Europe de la gauche française » ? Elle leur répond qu’elle préfère une Europe « de la preuve », recentrée sur les valeurs de paix et de prospérité qui réconcilieront les gens avec une magnifique idée vidée de son sens à force d’être transformée en concept marketing.

DSK et Fabius lui font-ils la leçon en énonçant les 72 articles du Traité de non-prolifération nucléaire (plus les protocoles additionnels) ? Elle leur répond qu’elle s’attache davantage à la réalité de la situation iranienne (ambiguïté de la finalité des opérations d’enrichissement d’uranium, mais absence d’ambiguïté quant à la menace pesant sur Israël...). DSK et Fabius récitent-ils dans l’ordre les 84 procédures distinctes régissant l’action de la Finul ? Elle leur répond que si rien de concret ne vient transformer la vie des gazaouites au plan matériel, rien de bon n’est à espérer avant longtemps. DSK et Fabius restent-ils bloqués dans un time-warp, dissertant sur les mérites d’une intervention américaine en Irak ? Elle leur fait remarquer que l’intervention a eu lieu et qu’il s’agit désormais de savoir si, oui ou non, la France peut aider ce pays à s’installer dans la démocratie (formation de cadres, gestion de l’eau, électricité, écoles...).

Je l’ai déjà dit ici, mais puisqu’il faut se répéter, répétons-nous, je crois que le principal frein à l’émergence d’une social-démocratie efficace dans l’hexagone tient à notre aversion au pragmatisme et à la prise en compte du réel, les envolées dogmatiques de Fabius et le lyrisme technicien de DSK n’étant, finalement, que les deux faces d’une même médaille en toc. Souhaiter l’élection de Ségolène, ce n’est pas souhaiter l’arrivée d’un nouvel homme providentiel (et pour cause !), mais plutôt la mise en place d’une équipe capable de rendre sa boussole à la France et de la gérer, au moins quelques années, sans ambition démesurée. Ca peut paraître ennuyeux, cette perspective de « suédisation » du pays de la Révolution et des « journées d’action » de la SNCF et, sans doute, ça l’est. Mais la perspective d’une poursuite du déclin si la gauche non-ségoliste l’emporte ou, pire encore, celle de la transformation de la France en espace communautarisé et faussement libéral, si elle ne l’emporte pas, est insupportable. Le 16 novembre, je voterai Ségolène. Pas vous ?

 

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Publié dans Divers

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