Droit au logement : les leçons d’Italie

Publié le par Christian Sautter - betapolitique.fr

Après un joyeux Noël familial et un réveillon amical à Tourneville, en Normandie, nous avons été conviés à dîner le 2 janvier par Franco Bassanini et Linda Lanzilotta. Ce fut une soirée parisienne raffinée, où l’on a beaucoup discuté de l’Italie et de Ségolène Royal.

Franco et Linda constituent en effet un couple extraordinaire, très engagé dans la politique de notre grand voisin transalpin. Franco a été ministre de la réforme administrative dans le premier gouvernement Prodi. Et Linda est actuellement ministre sans portefeuille en charge de la réforme des régions, ce qui n’enlève rien à la saveur exquise de son risotto.

Franco Bassanini a réussi une réforme dont certains (moi en particulier) rêvent pour la France. Il a remodelé en profondeur tout l’appareil de l’État italien, en vue d’une plus grande efficacité du service public. Les administrations centrales ont fondu. Des entreprises publiques locales assurent les services de proximité. La décentralisation a été engagée. Tout cela a été gravé dans la Constitution, même la composition du gouvernement limité à vingt ministres.

Contrairement à notre tradition française, où les ministrables se veulent éternels, Franco n’a pas repris de responsabilités dans le nouveau gouvernement et se consacre à une fondation qui réfléchit à la réforme de l’État, où il travaille avec Giuliano Amato, qui fut un énergique et affable ministre des Finances, avec lequel je m’entendais si bien quand j’exerçais cette responsabilité. Un projet de Franco est d’attirer les meilleurs étudiants dans le service de l’État, en créant une sœur italienne de l’École Nationale d’Administration, avec ses qualités plutôt que ses défauts.

Linda est donc ministre et veut mettre un terme aux chevauchements de compétences entre l’État, les régions (il y en a vingt), les provinces (une centaine) et les communes. Simplifier et responsabiliser, telles sont les priorités de cette ministre résolue. Elle songe même à mettre en concurrence les entreprises publiques locales et les entreprises privées, en systématisant les appels d’offres.

Quatre niveaux d’administration, c’est beaucoup. Dans la répartition des compétences, certains seront mieux servis que d’autres. Le choix italien est de privilégier la centaine de provinces par rapport aux vingt régions, ce qui est une attitude contraire à la tendance française de préférer de grandes régions de taille européenne à la multiplicité des départements issus de la Révolution. La différence entre nos deux pays tient en deux points liés. Les régions italiennes sont les héritières d’États longtemps indépendants (la Lombardie, la Sicile, etc.) dont la réunion dans l’État italien ne remonte qu’à 1860. Les tentations centrifuges restent donc fortes et ont été exacerbées par le gouvernement Berlusconi, soutenu par la Ligue du nord, qui ne voulait plus subventionner l’Italie du sud. Un référendum a été proposé par Berlusconi, qui aurait donné aux régions des compétences exclusives, c’est-à-dire sans interférence de l’État. Franco Bassanini et l’ancien président Scalfaro, tonique nonagénaire démocrate-chrétien, se sont battus pour faire échouer ce référendum : les Italiens ont rejeté cette réforme constitutionnelle à 63%.

À la question cruciale sur les compétences en matière d’éducation, Linda Lanzilotta a répondu que les chefs d’établissement devaient avoir une large autonomie dans le domaine de la pédagogie mais que les enseignants devaient continuer à être recrutés et nommés par État. En Italie, les enseignants restent les « hussards de la République », des garants essentiels de la formation des citoyens et pas seulement des travailleurs qualifiés. Le message italien est clair : il faut rapprocher la décision de l’usager, sans affaiblir trop un État qui a la responsabilité de maintenir la cohésion et l’équité nationales.

Essayons de réfléchir, avec ce recul romain, à la question du « droit opposable au logement » qui fait l’actualité française. Nous ne sommes pas dans une réforme de longue durée mais dans l’urgence médiatique. « Les enfants de Don Quichotte », heureux descendants du chevalier errant qui dormait plus souvent sous les arbres que dans les palais, ont su attirer l’attention de l’opinion publique sur la détresse des exclus sans domicile fixe, en installant un camp de tentes au cœur de Paris. Le chef de l’État, après onze ans et demi de règne, a enfin senti l’urgence et annoncé que les personnes sans logement pourraient obtenir réparation devant les tribunaux. Le gouvernement propose un projet de loi ce matin au Conseil des ministres qui devrait être adopté par le Parlement d’ici à la fin février. Tout va pour le mieux en apparence. Mais que va-t-il se passer de concret ?

Le droit au logement est déjà inscrit dans la Constitution , comme le droit au travail, ce qui n’empêche pas qu’il y ait de nombreux chômeurs et de travailleurs pauvres. Une loi de principe suffira-t-elle à transformer un droit formel en droit réel ? Non, à l’évidence. L’essentiel est de savoir qui fera quoi, quelles seront les responsabilités de l’État, des régions, des départements et des communes dans la construction et la gestion quotidienne des foyers d’accueil des exclus et plus généralement dans la construction et la gestion des logements très sociaux (à loyers très modérés) qui devront accueillir ces personnes en grande difficulté.

Au départ, il faut des terrains et des permis de construire. Certaines communes ont largement dépassé le seuil des 20% de logements sociaux imposés par une loi déjà ancienne, la loi « Solidarité et Rénovation Urbaine ». D’autres font effort pour atteindre cet objectif dans les délais les plus brefs : c’est le cas de Paris, qui finance 1200 logements très sociaux (20% de la France entière !). Mais trop nombreuses sont les communes qui refusent les logements sociaux et a fortiori les foyers d’accueil des exclus, où ceux-ci seront hébergés toute la journée et accompagnés pour recouvrer santé, espoir et emploi. La loi ne prévoit que des amendes ridicules pour les contrevenants.

Une vraie loi sur le droit opposable au logement, doit imposer des pénalités très lourdes, dissuasives, aux communes telles que Neuilly-sur-Seine, qui eut longtemps un maire ambitieux, Nicolas Sarkozy. Elle doit prescrire que les services sociaux des départements organisent l’accompagnement des exclus par des services publics ou des associations subventionnées à cet effet. Elle doit imposer à la Région de définir un plan de répartition des hébergements d’urgence et des logements très sociaux, avec une carte, un calendrier, et des financements pour les acquisitions foncières nécessaires.

L’État enfin, qui dépense des fortunes pour que les exclus soient hébergés dans des hôtels meublés par des marchands de sommeil peu scrupuleux (sans parler des racketteurs qui louent des bâtiments squattés aux sans-papiers), doit définir une stratégie à dix ans (il faut quatre ans pour construire un immeuble social), avec les financements correspondants. Tout cela coûtera très cher (on parle de plan Marshall pour les SDF), mais pourrait être en bonne partie financé par les pénalités versées par les communes rebelles et par une majoration de la fiscalité foncière.

Reste l’arme absolue : celle de la réquisition des logements et des locaux vacants. Je n’y suis pas opposé. Je me souviens qu’elle avait été pratiquée au moment du reflux massif des rapatriés d’Algérie. Je me souviens aussi d’un immeuble rue de la Croix-Nivert à Paris qui restait obstinément vide, car les héritiers en indivision ne parvenaient pas à se mettre d’accord. La menace de réquisition par le préfet que j’étais eut l’excellent résultat de mettre d’accord les propriétaires pour éviter cette « spoliation » !

Comme le dit Ségolène Royal, dont nos amis italiens attendent beaucoup pour relancer l’Europe, on jugera désormais l’État et les politiques aux preuves concrètes qu’ils donnent de leurs engagements. Ni Jacques Chirac ni ses gouvernements n’ont été brillants ! À la gauche de faire preuve d’audace et de crédibilité et de demander à tous une contribution nécessaire.

Publié dans Divers

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