L'inventaire de Chirac

Publié le par Hervé Nathan, rédacteur en chef à Marianne

À quoi reconnaît-on qu'un responsable politique va passer la main ? Réponse : lorsqu'il déraille avec les chiffres. Jacques Chirac en a fait la démonstration jeudi dernier, lors de ses vœux aux « forces vives de la Nation » (1).

En tout début de son discours, il annonce coup sur coup que les retraites seront financées en 2020, grâce à la réforme Fillon (2003) et que l'assurance maladie sera « excédentaire « en 2009, grâce à la loi Douste-Blazy (2004). Deux affirmations qui feraient rire un nouveau-né, si ce n'était pas sur lui que devait, à terme, retomber les suites de tant d'inconséquence.

Et si l'on devait commencer à dresser le droit d'inventaire du dernier mandat de Jacques Chirac, quel serait le premier chapitre ? La dette, évidemment. Elle était de 59% du PIB lorsqu'il remporta la présidentielle en 2002. Elle sera de 64,6% du PIB, au mieux, lorsqu'il quittera l'Elysée. Quatre années (2002 à 2005) de déficits calamiteux auront permis de constituer un tel héritage pour les gouvernements et les générations à venir. Il n'est qu'un autre leader politique à avoir fait mieux : Edouard Balladur, avec un ministre du Budget nommé Nicolas Sarkozy, entre 1993 et 1995. Alain Juppé, puis Lionel Jospin, avaient duûaffronter la montagne de dettes, afin de qualifier la France pour l'euro, en remontant la TVA et l'impôt sur les sociétés (IS).

A cinq mois de quitter son poste, Jacques Chirac ne se démonte pas, et préconise désormais de rabaisser l'IS de 33% à 20% en cinq ans, au motif que l'Allemagne s'est déjà engagée dans le dumping fiscal. Il est évidemment applaudi par tous les patrons présents, Laurence Parisot et Bernard Arnault en tête. Car la baisse de l'IS, c'est la promesse non seulement de payer moins d'impôts, mais aussi de voir la valeur des entreprises monter. « Lorsque les Allemands ont annoncé la baisse de l'IS chez eux, la valeur de notre filiale outre-Rhin, basée sur les flux financiers futurs a augmenté. J'ai fait une bonne affaire », se réjouit un grand patron de l'assurance.

Jacques Chirac donne un signal politique majeur : celui de la fin de la recherche de la coopération économique en Europe, qui était la position traditionnelle de la France. On peut la trouver irénique, mais l'abandon de la recherche d'un niveau commun de fiscalité dans les pays de l'Union est une catastrophe à terme pour le modèle social français. Sans ressources, comment soutenir la protection sociale, l'investissement et les services publics ? Pour donner une idée de ce qu'il propose, il suffit de consulter la Une des Echos du 4 janvier : « les impôts des entreprises dégonflent le déficit 2006 ». Le quotidien économique rappelle que la majeure partie des 9 milliards de plus-values fiscales en 2006 provient d'un bon rendement de l'IS. Et le président de la République voudrait qu'après lui, les Français se privent de ce moyen de rembourser les créances qu'il a contractées ?

Mais de cela, Jacques Chirac n'a cure. Il se bâtit une stature pour le futur. Ou plutôt une posture.


(1) Les forces vives sont les partenaires sociaux, les patrons, les associations, etc. Ceux qui étaient dans la salon Murat ce jour-là, ont pu constater qu'elles ont une moyenne d'âge de plus de 60 ans, sont à 90% masculines, et à 99% « françaises de souche ». Pas de quoi renouveler l'image de la Nation. Un participant plaisantait : « ce sont les mêmes qu'en 1945, avec les années en plus… »

Publié dans Divers

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