La France de Nicolas Sarkozy

Publié le par Romain Pigenel - betapolitique.fr

Sarkojanus

Le Sarkozy nouveau est arrivé. Hallelujah ! « J’ai changé », vous a-t-il confié par écran de télévision interposé, l’œil humide, le ton doucereux. Le premier expulseur de France, l’avocat de la suppression de l’ISF, l’embraseur des banlieues : fini ! Vous avez désormais, à portée de bulletin, l’ami des ouvriers, le fils spirituel de Jaurès et de Blum, le grand réconciliateur national, le premier employeur de banlieusards en déshérence. Un saint homme ! Alors, forcément, vous commencez à songer à voter pour lui, et pas qu’en vous rasant.

Problème : vous n’avez pas assisté à tous les meetings du ministre de l’Intérieur, vous n’avez pas lu l’intégralité de ses discours. Moi si. Vous avez oublié certains bouts d’histoire récente. Moi non. Alors, en exclusivité, mesdames, messieurs, laissez-moi vous présenter la vraie France de Nicolas Sarkozy, telle qu’il la voit, telle qu’il la veut !

La France qu’il dépeint : celle de la méfiance et de la division


Un des axes structurants des discours de Nicolas Sarkozy est la distinction entre deux France, celle du mérite et de la vertu, celle de la paresse, des pratiques interdites - on n’ose dire l’antifrance. Distinction à plusieurs échelles, qui dessine l’image d’un pays irréductiblement clivé.


Premier distinguo, celui entre Français de souche et pièces rapportées ; le Français d’adoption - c’est-à-dire tout Noir, Arabe, Musulman, même né français et en France - est un éternel suspect, jamais assez francisé, et réduit à un amalgame de clichés douteux. « Ceux qui veulent soumettre leur femme, ceux qui veulent pratiquer la polygamie, l’excision ou le mariage forcé, ceux qui veulent imposer à leurs sœurs la loi des grands frères, ceux qui ne veulent pas que leur femme s’habille comme elle le souhaite ne sont pas les bienvenus sur le territoire de la République française. » (discours de Poitiers, 26 janvier 2007). Parfois l’allusion se fait encore moins subtile, comme lors de sa prestation sur TF1 dans l’émission « J’ai une question à vous poser » (5 février 2007), où Nicolas Sarkozy nous joue le come back du bruit et l’odeur chiraquien, évoquant les « agneaux égorgés dans les appartements ».


Manipulation raciste encore - on peut espérer que le premier flic de France sait que l’abattage des agneaux consacrés est légalement organisé dans des boucheries homologuées … Mais Nicolas Sarkozy va plus loin encore. Alors qu’il se veut grand inquisiteur et prédicateur de la religion France (rappelez-vous, « on l’aime ou on la quitte »), il encourage parallèlement, devant un parterre choisi, le développement du communautarisme, qu’il condamne pourtant sur les plateaux de télévision : « Oui, les communautés existent. Chacun d’entre nous a son histoire propre, honore ses ancêtres, se souvient de ses racines, se sent plus ou moins proche de telle ou telle communauté, se réjouit de la retrouver lors des fêtes, se réconforte à ses côtés dans les épreuves que réserve la vie. C’est normal et c’est très bien ainsi. » (discours à la Mosquée de Paris, 28 septembre 2006).


Deuxième ligne de clivage : la France « qui se lève tôt » contre celle des assistés et des fonctionnaires.


Nicolas Sarkozy oppose fréquemment le travailleur vertueux aux chômeurs assistés : « Les demandeurs d’emploi doivent être davantage incités à rechercher un emploi, à suivre une formation, à reprendre une activité. La collectivité ne peut pas aider ceux qui ne fournissent pas le minimum d’efforts personnels sans lequel rien n’est possible. » (convention UMP « Pour une politique de justice et de responsabilité », 17 mars 2005). Autre variante d’assisté, le fonctionnaire, montré du doigt comme trop privilégié, et même comme facteur d’injustice : « Il y a une nouvelle forme d’inégalité dans notre pays : c’est celle qui sépare les salariés du secteur public, protégés dans leur emploi, des salariés du secteur privé » (convention UMP sur les injustices, « Un avenir pour tous dans une société plus juste », 30 novembre 2005).


Enfin, Nicolas Sarkozy aime aussi à diriger la colère des Français contre les corps constitués. Les magistrats sont une de ses cibles de prédilection : « tout le monde doit rendre des comptes, être responsable de ce qu’il fait. Y a-t-il une profession qui peut être à part ? » (entretien au Figaro, 24 juin 2005). Il propose en outre à Périgueux (12 octobre 2006) « qu’en correctionnelle, pour les affaires les plus importantes, on introduise le jury aux côtés des magistrats comme c’est déjà le cas en assises. » Ceci devrait permettre « la parole rendue au peuple, le pouvoir redonné au peuple » - oublie-t-il qu’en France, la justice est rendue par les juges au nom « du peuple français » ?


En bon populiste qu’il est, NS développe ainsi une rhétorique pernicieuse du bouc émissaire. Pour chaque problème, un responsable ! Il y a cependant une catégorie de Français à laquelle il ne s’en prend jamais : celle des possédants, au sens large.

La France qu’il défend : celle des possédants


En vérité, et quoi qu’il en dise ou essaie de faire croire par ses incantations à Jaurès et à Blum, Nicolas Sarkozy n’est pas le candidat des travailleurs, mais bien celui des possédants et des grosses fortunes, qu’il prévoit de protéger et de privilégier par toute une série de mesures. C’est le retour de la droite dure et conservatrice du XIXe siècle.


Voyons d’abord ce qu’il promet réellement aux travailleurs et aux salariés. Il l’annonce sans ambages lors de son discours à Charleville-Mézières (« Pour la France qui souffre », lundi 18 décembre 2006) : « Notre droit du travail qui décourage l’embauche sans protéger du chômage est une régression sociale ». Autrement dit, il faut casser le droit du travail, et faire de la flexibilité du salarié une règle d’or : « Le CNE est un progrès, il ne faut pas y toucher. », lâche-t-il lors d’une rencontre organisée par des patrons de PME (le 24 janvier 2007). Même propos, mais énoncé plus prudemment, lors du discours de Charleville-Mézières : « je propose qu’on protège moins les emplois et davantage les personnes, grâce à la création d’un contrat de travail unique, à durée indéterminée, à droits progressifs, plus souple en matière de licenciement économique. » Celui qui n’a jamais condamné le CPE que par opportunisme révèle donc ici son vrai visage.


Deuxième facette de cette ligne politique clairement à droite : un projet fiscal et économique clientéliste, visant à satisfaire tout d’abord les plus aisés, les détenteurs de patrimoine. C’est la négation de la solidarité qui est au fondement de notre modèle social, et une véritable prime au capital. Il projette ainsi des réductions d’impôts profitables pour les plus riches : « Je veux que l’Etat soit contraint de laisser à chacun au moins la moitié de ce qu’il à gagné. Je veux un bouclier fiscal à 50% y compris la CSG et la CRDS » (discours d’investiture, 14 février 2007). Le fameux bouclier fiscal, traduction acceptable de la suppression pure et simple de l’ISF … Nicolas Sarkozy entend également favoriser les privilèges familiaux acquis, en supprimant l’impôt sur les successions : « je veux que chaque Français puisse transmettre en franchise d’impôt sur les successions le fruit d’une vie de labeur […]. La France doit accueillir les patrimoines et pas les faire fuir. » (discours d’investiture)


Il est donc clair que Nicolas Sarkozy ne veut pas réhabiliter le travail, mais protéger la rente et la reproduction sociale. Il veut rompre avec le modèle social français, durement acquis tout au long du siècle dernier, en particulier par l’action des grandes figures socialistes dont il ose pourtant se dire l’héritier !

La France qu’il prépare : celle du conflit permanent


Avec un tel programme, une seule chose est certaine : une présidence Sarkozy serait d’abord et avant tout la présidence du conflit d’intérêt et de la lutte des classes à tous les étages.


Dans le monde du travail, tout d’abord : sans même parler du CNE qu’il veut généraliser (ce qui enclencherait sans aucun doute un mouvement social incomparablement plus long et violent que celui du CPE), Nicolas Sarkozy est décidé à s’attaquer au droit de grève par tous les moyens : « Je veux un service minimum dans les transports et les autres services publics. C’est la contrepartie du monopole. Sur ce point, il y aura une loi dès juin. […] Je veux poser la question du vote à bulletin secret dans les entreprises, les universités, les administrations au bout de huit jours de grève. […] [En cas d’échec du vote, les grévistes] ne pourront pas, en revanche, maintenir des piquets de grève » (interview dans les Echos, 14 février 2007).


Et que dire des banlieues, dans lesquelles il n’ose même plus aller faire campagne (un ministre de l’Intérieur interdit de séjour sur le territoire de son pays, quel plus bel aveu d’échec !) ? Le ministre Sarkozy s’est souvent comporté de façon brutale, irresponsable : dans une étude CEVIPOF / SOFRES de novembre 2006, 52% des 2 039 banlieusards interrogés affirment que ce sont « les propos de Nicolas Sarkozy » qui ont le plus lourdement contribué aux émeutes de novembre 2005. Quel serait le bilan du même, s’il détenait tous les pouvoirs discrétionnaires et sécuritaires entre ses mains ?


Autre zone de conflit probable, la jeunesse : Nicolas Sarkozy entend en effet établir une sélection masquée à l’entrée à l’université, même si, là encore, il fait preuve d’une grande prudence terminologique : « Les universités pourraient imposer en fin de premier semestre une réorientation aux étudiants dont les résultats seraient insuffisants » (convention UMP sur la recherche et l’université, 5 octobre 2006). Combien de Malek Oussekine, cette fois-ci ?


On peut légitimement s’interroger, enfin, sur l’espace que laisserait à l’opposition le Berlusconi du RPR. Nicolas Sarkozy a en effet eu des mots très durs et à la limite de la diffamation envers ses adversaires politiques de gauche, mots contraires à la volonté d’apaisement qu’on serait en droit d’attendre de l’homme d’Etat qu’il prétend être : « Ceux qui préfèrent leur parti à leur pays. Ceux qui cherchent toujours à opposer une France à une autre. Ceux qui cultivent la bonne conscience sans jamais éprouver de cas de conscience. Ceux qui donnent aux autres des leçons de morale qu’ils ne s’appliquent jamais à eux-mêmes. Ceux-là ne rendent service ni à la République ni à la démocratie. […] Je trouve qu’une certaine gauche aujourd’hui donne un bien mauvais exemple et rend un bien mauvais service aux valeurs et à la cause qu’elle prétend incarner. » (discours de Poitiers, 26 janvier 2007).


On pourrait continuer sur des pages et des pages. Mais je crois que cela suffit. Il est clair, rien qu’en considérant les allocutions publiques de monsieur Sarkozy, qu’il n’a pas changé, ou alors en pire. Le plus grand homme-orchestre de France (candidature à la présidentielle, présidence de l’UMP, ministère de l’Intérieur, copinage avec les grands groupes et les médias, virtuosité toute particulière au pipeau et au clairon, le tout sans les mains - on l’applaudit bien fort !) est objectivement une menace pour le modèle social et républicain français. Qu’attendre d’un admirateur de Bush, incapable de concevoir l’action politique autrement que comme coups de main et passages en force ? Qu’on se le dise une fois pour toute : Sarkozy, ce n’est pas juste l’ordre ; c’est le désordre injuste.


Romain Pigenel

Publié dans Divers

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article