Prétentieux intellectuels !

Publié le par André GAURON - liberation.fr

Michel Wieviorka et les intellectuels silencieux dont il se fait le porte-parole feraient mieux de s'intéresser à la démarche participative de Ségolène Royal plutôt que de la traiter par le mépris.

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Les intellectuels décryptent la société pour les candidats


Les uns après les autres, sociologues et politologues se relaient depuis plusieurs années pour diagnostiquer au coeur de la crise qui secoue nos sociétés une crise de la représentation. Un collectif d'intellectuels de plusieurs pays, animé par Michel Wieviorka, vient dans un ouvrage récent d'ajouter sa pierre à cet édifice (1). La distance qui s'est creusée entre les responsables politiques et la population, une pensée restructurée par la mondialisation, la dislocation des réseaux traditionnels de solidarité en seraient, nous disent-ils, quelques-unes des causes.

En fondant sa campagne présidentielle sur une démarche participative et en organisant effectivement des débats dans tout le pays, Ségolène Royal veut répondre à cette crise. On aurait pu penser qu'elle recueillerait de la part de ces intellectuels, à défaut d'une approbation, un intérêt critique et que conformément à leur démarche scientifique ils procéderaient à un examen contradictoire. Tout au contraire, la voilà sommée par Michel Wieviorka ( Libération du 18 janvier) de «renoncer aux expressions qui abaissent la culture et flattent le mépris des intellectuels... de faire échos aux espoirs de ceux qui assurent la production et la diffusion des connaissances, l'analyse sociale, la recherche, la culture...et qui se sentent parfois salis, tirés vers le bas, par des propos ou des attitudes démagogiques». 

Des accusations d'une telle gravité auraient mérité d'être pour le moins démontrées, citations à l'appui, puis discutées. Il faut supposer que notre sociologue se trouvait dans l'embarras pour s'en être dispensé. La «bravitude» et les citations tirées de proverbes chinois prononcées à l'occasion de son déplacement en Chine prêtent tout au plus à sourire, mais il faut une certaine dose de mauvaise foi pour y déceler une once de mépris pour les intellectuels. De même, transformer un désaccord sur le nucléaire iranien en «incompétence» et en «faute majeure» relève du procès d'intention que l'on croyait appartenir à un autre âge. Tout le monde semble s'accorder pour refuser à l'Iran l'accès au nucléaire militaire. Mais les uns acceptent que l'Iran maîtrise le nucléaire civil comme le traité de non-prolifération le prévoit mais ne savent pas dire comment ils empêcheront l'Iran de passer du civil au militaire; Ségolène Royal estime, au contraire, qu'il n'est pas possible de faire confiance aux déclarations des dirigeants iraniens et en déduit qu'il est alors préférable de bloquer l'accès au nucléaire civil. Qui est le plus cohérent? Toutefois, la question qui se pose aux uns et aux autres, et qui mériterait débat, ne serait-elle pas plutôt comment anticiper la politique à mettre en oeuvre si l'Iran parvient finalement à ses fins?

L'enjeu de ces accusations réside sans doute dans la déception qu'éprouvent Michel Wieviorka et les intellectuels «silencieux» dont il se fait le porte-parole (autoproclamé?) face à une candidate qui ne ferait pas «échos aux espoirs de ceux qui assurent la production et la diffusion de la connaissance, de l'analyse sociale» ... A moins qu'il ne regrette qu'elle se nourrisse d'autres travaux que des siens? Les sociologues détiendraient-ils une «vérité» qui a été au cours des dernières années fortement contestée aux économistes adeptes de la «pensée unique»? Sans contester le moins du monde la qualité des connaissances qu'ils produisent, celles-ci recoupent-elles toujours le ressenti des différentes couches de la société? Leur prise en compte (et les solutions qu'ils préconisent) peut-elle réduire davantage et de bien meilleure façon la distance entre les politiques et les citoyens que les débats participatifs?

En quoi, enfin, les intellectuels, sociologues ou autres, devraient-ils «être choisis par les responsables d'émissions politiques» pour arbitrer les projets des candidats? Il y a là une prétention politique insupportable dans une démocratie et qui est peut-être le coeur même de la crise de la démocratie française. Il me semblait que dans notre démocratie ce rôle d'interroger les candidats revenait aux journalistes eux-mêmes. Il est vrai que, dans certains domaines, ceux-ci ont pris l'habitude de se faire assister d'experts. Mais la politique n'est ni un sport destiné à faire le spectacle ni une autre façon de faire la guerre. L'expertise, quand elle devient le seul fondement de la décision publique, n'est-elle pas une forme de confiscation du débat public, et donc de la démocratie?

Dans son dernier ouvrage, Michel Wieviorka dénonce, à juste titre, l' «illusion d'une politique des émotions». Mais, là encore, rien dans la façon dont Ségolène Royal mène la campagne présidentielle ne vient démontrer qu'elle céderait à cette tentation. Est-ce jouer avec les émotions que d'inviter les citoyens à exprimer leurs attentes, à dire quelles sont les questions qui les préoccupent, plutôt que jouer au «politique qui a réponse à tout» et parler à la place des citoyens de leurs «vrais» problèmes et demander un blanc-seing pour mettre en oeuvre la nième solution labellisée par tel ou tel expert? N'est-ce pas au contraire du refus d'écouter les hommes et femmes de ce pays que se nourrissent populistes et démagogues?

Ce qu'il faut souhaiter pour le réveil de ce pays, c'est que Ségolène Royal aille jusqu'au bout de sa démarche et que, le moment venu, mi-février nous dit-on, elle mette en perspective les problèmes qu'elle aura fait remonter et, qu'à partir de là, elle construise le projet qu'elle proposera au pays. Non pas des solutions toutes faites comme on en a que trop connu dans le passé, mais un projet qui fixe des objectifs et une démarche de façon à construire collectivement des réponses que chacun puisse comprendre et dans lesquelles une majorité de nos concitoyens puissent se reconnaître. Si ceux qui font métier de produire et de diffuser de la connaissance sociale peuvent enrichir cette démarche de leurs travaux et de leurs critiques, qui s'en plaindra?


(1) Le Printemps du politique. Pour en finir avec le déclinisme, éd. Robert Laffont.

Publié dans Divers

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