La présidence de Jacques Chirac a-t-elle été un désastre complet pour la France ?

Publié le par John Lichfield - The Independent



Pourquoi posons-nous cette question maintenant ?

Le soir du Nouvel An, Jacques Chirac s'adressera presque certainement pour la dernière fois à la nation. À moins d'une crise ou d'une catastrophe nationale en avril et en mai, ce sera la dernière occasion pour M. Chirac de parler à ses "chers compatriotes" en direct à la télévision et d'essayer d'apporter un peu de sens à la confusion de ses quarante années passées en politique et aux calamités de ses près de 12 années passées au Palais de l'Elysée.

Finira-t-il par admettre qu'à 74 ans et avec des sondages ridiculement bas il n'a aucune chance de remporter un nouveau mandat présidentiel ? Finira-t-il par soutenir la candidature de son ancien protégé, qu'il déteste, Nicolas Sarkozy ? Probablement pas. Pas encore, de toute façon.

On dit que le Président Chirac se cramponne à une croyance désespérée selon laquelle la bourgeoisie française pourrait encore se tourner vers lui pour sauver la France de Ségolène Royal, qui est non seulement socialiste mais (quelle horreur !) une femme. En vérité, si le Président Chirac décide de se représenter, ce sera essentiellement pour gêner Sarkozy. Une guerre civile Chirac-Sarkozy au centre-droit transformera en quasi-certitude la possibilité d'une présidence Royal.


Comment se souviendra-t-on de Chirac en France ?

Chirac a été élu en 1995, à sa troisième tentative. La France était alors une nation divisée par une fracture, connaissant un fort taux de chômage et dépourvue de consensus sur la façon de s'adapter à la nouvelle économie mondiale, tout en préservant pour la France ce qui marchait le mieux et ce qui était le plus français. Il y avait un mépris alarmant vis-à-vis des hommes politiques du courant dominant et des institutions, ainsi qu'une dérive vers les extrêmes démagogiques et aveuglément nationalistes, de droite comme de gauche. Chirac avait promis de résorber la "fracture sociale" de la nation.

Onze ans et sept mois plus tard, la France en est exactement où elle en était en 1995. À tout le moins, la santé démocratique de la France a décliné. Le cynisme et l'attirance pour les sentiers obscurs de l'extrême droite et de l'extrême gauche se sont accrus.

Sur le plan intérieur, les années Chirac se résumeront à 12 années de temps perdu. Une ou deux tentatives vers des réformes sociales et économiques timides ont été interrompues par la cohabitation avec un gouvernement socialiste, dont l'héritage est une semaine de travail plus courte — les 35 heures — (quelque chose que déteste la droite). Les émeutes de banlieue de l'année dernière ont montré que peu a été fait pour résorber la "fracture sociale" de la France.

Ce ne serait pas juste de dire que Chirac magouillait pendant que la France brûlait. Il tergiversait alors que la France était à la dérive.


Et quelles sont les réalisations de Chirac à l'étranger ?

On se rappellera toujours que Jacques Chirac est celui qui a eu les tripes et la vision de résister à l'invasion américano-britannique de l'Irak en mars 2003. À l'époque, il a été diabolisé dans la presse américaine et la presse britannique comme étant : a) un mauvais allié ; b) engagé financièrement auprès de Saddam Hussein ; c) anti-américain.

Souvenons-nous de ce que Chirac a réellement dit. Il n'y a pas de besoin urgent à renverser Saddam. L'occupation de l'Irak sera un cauchemar. Nous devrions nous concentrer sur la lutte contre ben Laden et comparses. Les véritables amis et alliés ne suivent pas aveuglément, mais ils indiquent les erreurs calamiteuses possibles.

Les Américains pourraient tout particulièrement prendre la peine de considérer qui fut l'allié le plus précieux (bien qu'ignoré) en 2003, Jacques Chirac ou Tony Blair. Ceci étant dit, le reste de la politique étrangère chiraquienne et en particulier la politique européenne, a été incohérent.

Le Président Chirac a échoué à faire avancer un monde "multipolaire" — c.-à-d. un monde qui n'est pas dominé par les valeurs et les intérêts américains — ce qu'il a prêché en 2003. Il a même contribué à une défaite significative du "multipolarisme", en estropiant l'Union Européenne. Chirac a poussé à une constitution européenne et y a ensuite perdu intérêt. Il a appelé à un référendum en France sur cette constitution et a échoué à vendre l'idée à ses "chers compatriotes". Le vote "Non" au référendum en mai 2005 a été un coup dévastateur pour l'UE et, de facto, la fin de l'influence de Chirac tant à l'intérieur qu'à l'étranger.


Y a-t-il quelque chose de positif à dire ?

Oui. Le Président Chirac, avec un ou deux écarts de conduite pour cause électorale, a toujours été un ennemi farouche du racisme et de l'extrême droite. Il a été le premier président français à admettre que l'appareil d'Etat sous Vichy a été complice de l'Holocauste durant le régime collaborationniste de Vichy entre 1940 et 1944.


Autre chose ?

Il a personnellement sauvé la vie de plus de 9.000 Français. Le Président Jacques Chirac a décidé en 2002 de faire de la sécurité routière la question favorite de son deuxième mandat. Depuis lors, les lois françaises sur la sécurité routière, en particulier les réglementations relatives à la vitesse, ont été, pour la première fois, vraiment appliquées. L'impact sur les victimes de la route a été extraordinaire. À la fin de cette année, le nombre de vies sauvées depuis 2002 dépassera largement les 9.000.

Peu probable. Il est possible qu'il soit poursuivi pour le présumé financement politique illégal (d'ampleur épique) lorsqu'il était le Maire de Paris entre 1974 et 1995. Pendant son mandat à l'Elysée, il a été protégé par son immunité présidentielle. Plusieurs de ses anciens proches collaborateurs à l'hôtel de ville, dont l'ancien premier ministre Alain Juppé, ont été reconnus coupables d'avoir organisé — ou d'en avoir été conscients — de plusieurs escroqueries pour détourner l'argent des contribuables parisiens vers les coffres du parti néo-gaulliste de Chirac, le RPR (à présent défunt), le Rassemblement pour la République. Aucun de ceux qui ont été reconnus coupables n'a été envoyé en prison. Si Chirac était poursuivi, cela traînerait probablement pendant des années et se terminerait, au pire, par une condamnation avec sursis.


Y a-t-il un héritage Chirac ? Aura-t-il un monument à son nom ?

Les présidents De Gaulle, Giscard et Mitterrand, à leurs différentes manières, ont laissé leurs empreintes sur la France. L'influence de Chirac sera négligeable. Il a réussi à unir presque toutes les factions de la droite, qui se chamaillaient, en un parti unique, l'UMP (l'Union pour un Mouvement Populaire), mais ce parti lui a été presque immédiatement dérobé par Nicolas Sarkozy. Quatre ans après que l'UMP a été créé comme véhicule pour Chirac, le parti est une chorale sarkozienne. Son slogan est "Imaginez la France d'après !". Après qui ? pourrait-on demander.

De Gaulle a un aéroport et une place à son nom. Pompidou a son centre d'art moderne et une voie rapide au bord de la Seine. Mitterrand a une bibliothèque et une petite section d'un quai de la Seine à côté du Louvre. Qu'est-ce que Paris pourra nommer pour Jacques Chirac ?

La ville pourrait considérer renommer la Rue Vaugirard sur la rive gauche. Cette rue est l'une des plus anciennes de Paris. Elle n'en finit pas, elle tourne et se tord dans diverses directions et ensuite se termine nulle part en particulier. Parfait pour une Rue Jacques Chirac.


Que peut-on dire pour ou contre Jacques Chirac pendant ses années au pouvoir ?

Pour...

* Il s'est élevé contre George Bush et Tony Blair aux Nations-Unies à propos de l'Irak, pour des raisons qui se sont avérées justes.

* Il a sauvé la vie de milliers de Français en faisant en sorte que les lois de sécurité routières soient appliquées pour la première fois.

* Il a un passé solide de résistance au racisme et à l'extrémisme.

Contre...

* Sa présidence a échoué à lutter avec les problèmes économiques et sociaux de la France.

* Il a affaibli l'UE en poussant à une constitution, en appelant à un référendum en France et en le perdant.

* Sa présidence a renforcé le cynisme vis-à-vis des hommes politiques en France.

Par John Lichfield, correspondant à Paris


© 2006 Independent News and Media Limited / Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

Publié dans Divers

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