Soupçon de « propagande électorale »

Publié le par Jacky DURAND - Libération

LivreLe livre d'un cadre de l'Observatoire de la délinquance, accusé par ses détracteurs d'être une ode à l'action sécuritaire de Sarkozy, remet en cause l'indépendance de l'institution.
 
 
Y a-t-il du rififi dans l'air au sein de l'Observatoire national de la délinquance (OND) ? Créé en 2003 par Nicolas Sarkozy alors qu'il était ministre de l'Intérieur, cet organisme est censé, selon son initiateur, «faire la lumière sur la réalité de la délinquance» en «toute indépendance» en traitant les statistiques de la criminalité (1). Il est chapeauté par un conseil d'orientation composé de hauts fonctionnaires (Intérieur, Education, Transports...), de représentants de la société civile (chercheurs, journalistes, représentants d'associations...), de politiques de droite et de gauche. Et c'est justement au sein de ce conseil d'orientation qu'un chercheur vient de pousser un coup de gueule sans équivoque contre l'un des cadres de l'OND, accusé d'avoir coécrit une ode à la gloire de l'action sécuritaire de Sarkozy tout en revendiquant l'indépendance de l'Observatoire.
 

«Propagande». Dans un article en ligne (2), Frédéric Ocqueteau, directeur de recherches au CNRS-Cersa, décrit les Stratégies de la sécurité (PUF), cosigné par Luc Rudolph et Christophe Soullez, comme «un ouvrage de propagande électorale». Il est vrai que ce livre est préfacé par Nicolas Sarkozy et que Luc Rudolph fut son conseiller pour la sécurité quand celui-là était ministre de l'Intérieur. Quant à Christophe Soullez, criminologue, il est chef du département études à l'OND.

«La période ouverte en 2002 par Nicolas Sarkozy apparaît, plus de quatre ans plus tard, comme un moment de rénovation intensive de la politique de sécurité», écrivent les deux auteurs, qui font la part belle au bilan du ministre de l'Intérieur avant de formuler 150 propositions qui ratissent large dans le champ sécuritaire : la 62e prévoit de «n'affecter en zone sensible que des agents confirmés» , la 130e propose de «faciliter la procédure d'expulsion des nomades des lieux occupés indûment», tandis que la 118e prévoit de «traiter dès le jeune âge les dérives comportementales».

«Confusion des genres». Si Frédéric Ocqueteau refuse «d'apparaître comme le gauchiste de service», il est sorti du bois pour dénoncer «une confusion des genres sur laquelle personne n'a bronché». «Ce bouquin partisan est une vraie feuille de route pour le futur ministre de l'Intérieur. Je reproche à Christophe Soullez d'engager l'image de l'OND, indique-t-il à Libération. Comment peut-on se dire indépendant et être aussi engagé ?»

«Mettre en cause l'indépendance de l'OND à l'aune de ce que j'ai écrit n'est pas honnête, estime de son côté Christophe Soullez. On peut avoir des convictions, des idées, et en même temps exercer des fonctions de manière objective. En me mettant en cause, Frédéric Ocqueteau met en cause mes collaborateurs, qui ne partagent pas forcément mes idées. Depuis trois ans, j'ai toujours fait preuve d'impartialité à l'OND et à aucun moment Frédéric Ocqueteau n'a mis en cause ma neutralité. Il fait partie du conseil d'orientation de l'OND, il a validé nos conclusions. A plusieurs reprises il a apporté des modifications sur nos études, qu'on a prises en compte. On a travaillé en bonne intelligence.»

«Rapprochement». Au-delà de la polémique opposant les deux hommes, la question de l'indépendance de l'OND se pose plus largement pour Christophe Caresche, député PS et membre du conseil d'orientation de l'observatoire. En 2002, il fut avec Robert Pandraud (UMP) à l'origine d'un rapport préconisant la mise en place d'un tel organisme. Aujourd'hui, il estime que l'observatoire «a perdu son indépendance» avec un tel livre et surtout avec «le rapprochement» avec Nicolas Sarkozy opéré par Alain Bauer, grand patron de l'OND. Ce criminologue, ancien grand maître du Grand Orient de France, ne fait pas mystère de ses attaches professionnelles avec les ministres de l'Intérieur successifs : «Je me suis rapproché des ministres au fur et à mesure que je faisais ce métier. Je n'ai appelé à voter pour personne», dit-il. Quant à la polémique au sein de l'OND, Alain Bauer estime que «si un collaborateur de l'OND exprime une opinion qui soit l'inverse de la pensée officielle du ministère, elle est la bienvenue». «Mon éthique, c'est que les gens ont des opinions et qu'ils peuvent les exprimer».
 


Jacky DURAND / Libération

Publié dans Divers

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